Dans son article, Mathias Nuttin présente en effet le livre numérique comme une « révolution », qui bouleversera « le business model classique, dans lequel l’éditeur détient le contrôle – et les meilleures marges », et l’amènera à s’ouvrir aux auteurs qui désirent publier eux-mêmes leurs oeuvres sur le marché. Il poursuit en précisant « les gardiens de la qualité littéraire ne seront plus les éditeurs, mais les auteurs et les lecteurs eux-mêmes ». Ce qui signifierait la disparition des éditeurs et le remplacement du canal classique par « un canal direct entre auteurs et lecteurs ».
La commission numérique de l’ADEB s’étonne de cette vision. Tout d’abord, parce qu’il convient de préciser que les éditeurs belges francophones sont plus que conscients de la révolution numérique et n’ont pas le sentiment de voir s’effondrer leur univers. Au contraire, l’ADEB a mis en place une commission et des mesures qui accompagnent les acteurs de la chaine du livre dans cette mutation des métiers.
Par ailleurs, l’analyse de l’état du marché américain où environ 18% des ventes concernent des livres numériques (et non 6% comme l’indique l’article « Les nouveaux acteurs », paru dans le MoneyTalk 48, en page 18), démontre que d’une part, les éditeurs classiques coexistent très bien avec le numérique et que leur rôle n’est nullement remis en question, avec seulement 5% des ventes totales de livres numériques s’effectuant de manière autoéditée. Ces chiffres publiés fin janvier 2012, dans la récente étude du Cabinet de consultance « AT Kearney », une des nombreuses études sur le sujet, confirment l’envolée des ventes d’ebooks aux États-Unis et en Angleterre, mais également le fait que le marché reste très marginal en Europe avec moins d’1% des ventes totales. Nous nous attendons néanmoins à ce que l’édition numérique cohabite avec l’édition papier.
Par ailleurs, la comparaison graphique du business model d’un éditeur classique avec celui d’Amazon semble incomplète puisqu’elle fait abstraction de plusieurs éléments :
- La différence en matière de traitement de la TVA n’est pas reflétée (6% sur un livre papier, contre 21% pour un ebook vendu depuis la Belgique).
- Dans le cadre d’un projet d’édition papier, en fonction du profil de l’auteur et de la thématique abordée, les royalties fluctuent entre 5 et 15%.
- La part du diffuseur et du distributeur mentionnée à 30% est en réalité de 50, voire 60%.*
De manière plus globale, par rapport à l’autoédition qui est présentée comme une menace importante pour les éditeurs classiques, nous estimons surtout qu’elle représente une vraie opportunité pour des auteurs qui ne s’inscrivent pas, ou ne veulent pas s’inscrire, dans les filières traditionnelles. Néanmoins, il est important de ne pas perdre de vue, tant pour le livre papier ou numérique, la valeur ajoutée de l’éditeur dans son travail depuis la réception d’un manuscrit jusqu’à sa mise à disposition et qui implique entre autres la vérification du texte, sa structuration et sa mise en page. Plus important encore, la marge de l’éditeur sert également, et surtout, à financer la création : de nombreux auteurs en littérature, livre de jeunesse et BD bénéficient d’avance, parfois confortables.
Pour la commission numérique de l’ADEB :
Thibault LEONARD
Luca VENANZI
* Ces chiffres sont bien entendu adaptables en fonction des secteurs éditoriaux.