Une conversion étonnante
Pour ceux qui ne connaissent pas Pierre Pirrard, en quelques mots, c’est un chef d’entreprise qui, après avoir passé vingt ans dans des multinationales, a eu envie d’un changement de vie. Et on peut dire que ce changement a été radical… Le déclencheur ? Un film, Out of Africa, qui lui a fait prendre conscience qu’il avait lui aussi la possibilité de vivre plusieurs vies en une. Dès lors, fini les hôtels de luxe et les voyages autour du monde, le voilà dans une salle de classe à Molenbeek, à Bruxelles. Une seule question, pendue à toutes les lèvres : a-t-il perdu la tête ?
Lorsqu’on l’écoute, on s’aperçoit vite qu’il est bien sensé, et surtout, on est touché par son enthousiasme, sa générosité et sa détermination. Ses motivations sont nombreuses mais, dit-il, « j’avais surtout envie de me retrouver dans l’inconfort d’un début de carrière professionnelle ». À cela il ajoute le désir de partager son expérience et de « créer à partir d’un autre type de capital, un capital humain, et non plus financier ».
Mais rapidement, Pierre Pirrard se rend compte que ces profs qui se plaignent sans cesse n’ont pas tout à fait tort… La liste des problèmes qu’il pointe du doigt est longue : le métier n’est pas valorisé, respecté, ni même reconnu ; les jeunes enseignants sont désespérément livrés à eux-mêmes ; les inégalités entre élèves sont énormes…
L’éducation, un beau combat
Loin de baisser les bras, il s’implique corps et âme dans sa nouvelle fonction, parce que, confie-t-il, « c’est vrai que c’est aussi le plus beau métier du monde ». Après avoir résisté à sa première année de prof, il décide d’écrire un livre sur son expérience, pour évoquer les plaisirs du métier, mais aussi pour dénoncer : « Personne n’ose parler des vrais problèmes de l’enseignement, j’en avais marre des positions politiquement correctes, alors j’ai voulu dire tout haut ma propre vision, car il est grand temps que certaines choses changent si on ne veut pas d’une révolution ! Puis c’est important de s’impliquer dans quelque chose et je me dis que l’éducation, c’est tout de même un beau combat !»
Si certains le qualifieront de prétentieux (« après un an de carrière, quand même… »), on est forcé de reconnaitre la pertinence de ses observations. D’autant qu’il ne se contente pas d’établir des constats : il propose aussi des solutions, dont certaines sont assez innovantes.
Notamment, une des pistes pour améliorer la qualité de l’enseignement, selon lui, c’est de faire davantage de ponts entre le milieu de l’entreprise et l’école. Ainsi, il préconise, pour le businessman, un « service éducatif » obligatoire qui consisterait à ouvrir son entreprise à des stagiaires, ou même à consacrer un an de sa vie à l’enseignement. Reste à voir si tous seront de son avis… De même, à l’enseignant, il recommande de faire des « stages en entreprise » de manière à être plus apte à apprendre la « vie » à ses élèves car, ajoute-t-il, « de nombreux profs ne connaissent pas grand-chose d’autre que leur vie de prof - sans vouloir les vexer ! »
Mais à ses yeux, le défi majeur de l’enseignement, c’est d’instaurer une mixité socioculturelle dans les écoles, de manière à remédier aux inégalités. « La Belgique est le pays européen le plus inégalitaire en matière d’éducation », affirme-t-il, statistiques à l’appui. À ceux qui craignent le nouveau, l’étranger, le différent, il réplique : « Nos traditions ne peuvent que s’enrichir du brassage culturel, et il ne faut pas craindre de les voir évoluer. Ce qui est important, ce sont nos valeurs, et elles, elles sont immuables et on a tous les mêmes… »
Oui au numérique à l’école !
À propos de l’intégration du numérique à l’école, Pierre Pirrard ne mâche pas ses mots : « Mille fois oui ! », s’exclame-t-il. Et d’ajouter, sur le ton de l’humour : « Mais je préfère d’abord que le carreau de ma classe soit réparé, car l’hiver il fait froid ! »
Ayant visité une école aux États-Unis dans laquelle toutes les classes étaient équipées de smartboard, il déplore de ne pas même avoir de tableau correct dans sa classe et de devoir batailler ne serait-ce que pour installer le wifi dans l’établissement… « Dans ce domaine, nous sommes face à une inertie totale », regrette-t-il. Et pourtant, selon lui, c’est une priorité d’éduquer les jeunes à la manipulation de l’informatique : la majorité des élèves sont constamment connectés, mais beaucoup sont incapables de faire une recherche dans Google…
Cela dit, s’il est primordial d’« éduquer » au numérique, Pierre Pirrard estime qu’il n’est pas moins important de « se servir » du numérique, notamment pour remédier à certaines « absurdités » propres à l’enseignement belge, comme l’absence de manuels scolaires par exemple…. « Le programme est le même pour tous, mais chaque prof invente son propre cours. On a donc 15000 cours différents pour une même matière, c’est totalement aberrant, et cela nuit à la qualité de l’enseignement, car il est évident que tous les cours ne sont pas aussi bons les uns que les autres ! Les manuels numériques seraient donc une solution idéale. », explique-t-il. Et de conclure : « Quand j’aurai mon smartboard, j’utiliserai vos manuels numériques. C’est l’avenir ! »
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S.F.